L'écriture en zéro-gravité : ingéniosité vs biais

Une technologie pragmatique ou un cocktail d'illusions ?

La victoire du pragmatisme sur la technologie !

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C’est une histoire vraiment dingue !

Est-ce que tu la connais déjà ?

Dans les année 1960, lors des premiers voyages spatiaux,

Les scientifiques de la NASA cherchaient à développer un stylo qui fonctionnerait dans l'espace.

Ceci car les stylo à bille ne fonctionnent pas lorsque la gravité n’est plus.

Pour créer ce stylo innovant, le Space Pen,

Qui peut écrire dans toutes les positions,

Qui peut affronter des températures extrêmes,

Et qui fonctionne en zéro gravité,

La NASA a dépensé 1 million de dollars.

De l'autre côté, lorsque les Soviets se sont posés la même question,

Ils ont décidé d’utiliser un crayon à papier.

Quelle belle preuve d’ingéniosité de la part des scientifiques de l’URSS !

Et quelle dépense d'argent inutile pour les Américains !

Surtout pour eux qui sont d’habitude si innovants, performants, et efficaces…

Sur ce coup-là, ils ont vraiment perdu une des batailles de la guerre froide.

Bon, je sens que tu commences à me voir venir.

Si tu as déjà vu passer cette histoire sur les réseaux sociaux,

Sache que c'est un mythe !

Je te rassure,

Moi aussi je suis tombé dedans la première fois que je l'ai vu !

On va creuser ça ensemble.

Quelle est donc la vérité ?

Commençons par un peu d'histoire.

Le Space Pen existe bel et bien.

C’est un stylo avec une bille spéciale et dont l’encre est pressurisée dans la cartouche.

Il a été développé par la Fisher Pen Company qui a déposé un brevet en 1965.

À cette époque, tant les Américains que les Soviets utilisaient des crayons à papier dans l’espace.

Et ce n'était pas sans risque !

1) La mine du crayon peut casser.

Et dans l'espace, des petits objets durs et pointus qui flottent peuvent devenir très dangereux.

2) En écrivant, le crayon laisse des poussières de graphite.

Dans l'espace, ces minuscules poussières peuvent voler un peu partout,

Notamment dans les circuits électriques qui étaient fragiles à l'époque.

3) Lorsqu’on taille un crayon, que faire des résidus ?

Là aussi, dans l’espace, ça va se mettre à flotter partout.

4) Le bois est un matériau inflammable.

C'est ce dernier point qui a mis la NASA sur la piste du Space Pen.

La véritable histoire

En 1967, lors de la mission Apollo 1, un feu se déclenche dans le cockpit d’un vaisseau.

Il tuera 3 astronautes.

Plusieurs causes ont été identifiées.

Parmi elles : des composants inflammables étaient présents à l'intérieur de l'habitacle.

Traumatisés, les ingénieurs de la NASA cherchent à limiter au maximum les risques.

La NASA va alors commencer à développer un stylo qui fonctionnerait dans l'espace.

Mais elle a rapidement abandonné le projet vu les coûts pharaoniques.

En plus de cela, en 1965, la NASA a été confrontée à un scandale :

Le personnel avait commandé des stylos sophistiqués à Tycam Engineering Manufacturing pour environ 130$ le stylo.

Ça tombait donc bien que Paul C. Fischer, de la Fisher Pen Company, arrive avec un produit qu'il a lui-même développé !

Car non, la NASA n'a rien financé dans ce projet.

La Fisher Pen Company a financé les efforts de R&D par elle-même.

Il n'en reste pas moins que les coûts étaient importants : environ 1millions de dollars.

Au début, la NASA était assez frileuse à l’idée d’utiliser le stylo de Fisher.

Mais après plusieurs essais poussés, ils ont été adoptés en 1967.

Et les Soviets ont fait exactement la même chose !

Une commande de Space Pen en 1969 par l'Union soviétique l’atteste.

(Au passage, les Soviets ont reçu exactement la même remise de prix que la NASA 😄)

Tu pourras trouver tous les détails en allant, ici, ici, ici ou .

Tout est donc faux !

Comme tu as pu t’en rendre compte, quasiment toute l’histoire est fausse.

D'ailleurs, un indice intéressant :

Sur l’emballage du crayon russe en photo plus haut,

(Qui est l’image qui circule avec ce mythe,)

On peut lire que la société vendeuse s'appelle Modern Myth Merchandise 😆

On ne peut pas dire qu'ils n'annonçaient pas la couleur !

Mais alors pourquoi est-ce que cette histoire circule encore ?

(D’autant plus que ce mythe était, a priori, déjà partagé par email dans les années 2000 !)

Il y a, tu t'en doutes, un ensemble d'illusions derrière tout ça.

Tout d'abord, il y a un cadrage

Dans l'histoire, il y a un focus qui est mis sur le prix.

1 million de $$ face à quelques centimes.

Il y a également un cadrage sur la complexité : de l'encre gel pressurisée,

Face à la simplicité du crayon à papier.

Ce cadrage amène donc naturellement notre cerveau à comparer des aspects grandiloquents face d’autres plus faciles à appréhender.

Et notre cerveau préfère ce qui est facile à appréhender.

(Je t’en parle plus bas.)

Ensuite, il y a un biais d'exogroupe

De la même manière que notre cerveau va interpréter nos réussites personnelles et les réussites d'une autre personne de manière différente,

Il va le faire de la même manière pour le groupe auquel on s'identifie versus les autres groupes.

En gros : quand notre groupe réussit, c’est grâce à nos actions et à nos compétences.

Et quand il échoue, c’est à cause du contexte ou des autres.

Comme quand le groupe “opposé” réussit !

Cela peut jouer plus particulièrement pour nous qui sommes Européens,

Toujours coincés entre les 2 “grandes puissances” que sont l’URSS et les États-Unis.

Donc pour une fois qu’on peut se moquer d’eux car ils sont trop stupides.

(Contrairement à nous bien entendu ! 😄)

Sans compter la manière dont ils sont dépeint dans l’imaginaire collectif…

On continue avec une combinaison

Biais de croyance + biais de confirmation

Ici, c'est un cocktail qui va être lié à ce que chaque lecteur du message croit déjà.

Et qu'il va donc confirmer au travers de l'histoire qui nous est racontée.

(Si tu ne te rappelles pas ce que c'est le biais de confirmation, petit rappel ici.)

Donc, ici, on peut mélanger pêle-mêle :

  • La bureaucratie incompétente,

  • Le service public qui dilapide l'argent public,

  • Les Soviets plus pauvres mais débrouillards,

  • La tendance à toujours chercher la complexité,

  • Les Américains qui ne savent pas quoi faire de leur argent,

  • Le manque de véritable intelligence,

  • L’ingéniosité infantile.

Entres autres !

Je laisse compléter la liste.

Ainsi que de cocher tes croyances 😂

Enfin, il y a l'illusion de savoir

L'illusion de savoir, c'est le fait que nous croyons comprendre tous les enjeux d'une situation seulement à partir de quelques éléments.

C'est exactement le même phénomène lorsqu’on lit le titre d'un article de journal, et qu'on pense comprendre le fond de l'article.

(Ce qui en dit long sur les titres qui défilent en bas des écrans des chaînes d'information continue… 😅)

Ici, clairement, c'est notre manque d'expertise des contraintes de vie dans l'espace et des véhicules spatiaux,

Qui nous fait rater l'importance des détails qui ne sont pas exprimés dans l'histoire.

Également, le fait que cela nous soit transmis par un texte,

Nous empêche de fait d'avoir un interlocuteur à qui nous pourrions poser des questions.

Et qui, peut-être, pourrait nous donner plus de détails absents dans l'histoire.

Bonus : Effet “moins, c'est mieux”

L'effet “moins, c'est mieux” est la tendance de notre cerveau à favoriser, et à préférer les solutions plus simples.

C'est lié à la manière dont notre cerveau compare les choses.

Car notre cerveau ne peut pas évaluer une chose en absolu.

Il ne peut le faire qu’en relatif, en la comparant à d'autres choses.

(Rappelle-toi l'effet de leurre.)

Et ici, clairement, tout est fait pour nous faire comparer

Quelque chose de très simple et de peu coûteux,

À quelque chose de très compliqué et de très cher.

Et pour le bouquet final…

Tu comprends maintenant mieux pourquoi est-ce ce mythe marche.

Et pourquoi on va vite y croire.

Mais il manque encore le côté permanence de la diffusion.

Il y a deux éléments qui peuvent jouer sur cet aspect.

Le premier, c'est l’humour.

La formulation de l’histoire amènent un côté humoristique :

“Qu’est-ce qu’ils peuvent être stupides quand même !”

(Toujours contrairement à nous, bien entendu ! 🤣)

Et l'humour facilite la mémorisation.

Nous aurons donc tendance à plus facilement se rappeler l’histoire

(C’est d'ailleurs ce qu’un ami a fait en me racontant l’histoire il y a quelques jours — Coucou Frédéric ! 👋)

Ensuite, il y a une loi souvent citée par les zéthiciens : la loi de Brandolini.

Ou le principe d’asymétrie des baratins.

Il s’agit en fait plutôt d’un constat :

Il est très facile d'exprimer quelque chose de faux ou d'idiot.

Mais il va falloir beaucoup d'efforts pour en apporter la preuve.

Typiquement ici :

30 secondes pour voir l’image et lire le texte,

Et pour dire une bêtise.

Une bonne dizaine de minutes, voire quelques heures, pour rechercher sur Internet :

Qu’en disent les intéressés ?

L'histoire est-elle juste ?

Où est-ce que l’information se trouve ?

Quels sont les détails ?

Pourquoi est-ce faux ?

Sans compter l'effort à réaliser pour se dire “je vais aller vérifier ces informations !”

Défi de la semaine

Choisis un une réussite (ou un échec) récent de ton équipe.

(Ou de ton groupe d’amis. Ou de ta famille.)

Et questionne les justifications que tu en as.

Es-tu convaincu·e que la réussite est liée aux talents du groupe ?

Ou convaincu·e que l’échec est dû au contexte extérieur ?

(Ou à d’autres groupes ?)

Qu’est-ce que tu pourrais aller chercher pour te permettre de tester cela ?

Par exemple : que la réussite est liée au contexte — le milieu social, le niveau d’éducation, la météo, la chance —

Ou que l’échec est lié à un manque de compétences ?

PS pour rigoler :

En recherchant des détails pour cette édition, j’ai trouvé un article type blog s’intitulant "“How to find a problem before the solution?”

(Comment trouver le problème avant la solution)

Il s’agit d’un article s’appliquant à la conception de produits dans une approche start-up.

Le cœur de l’article étant qu’on définit souvent la solution avant de clarifier le problème à résoudre.

L’auteur utilise ce mythe du crayon papier pour répéter et faire passer son message : “Know your problem before jumping to a solution”

(“Connaît ton problème avant d’aboutir à une solution”)

Je trouve très ironique que la méconnaissance par l’auteur du cadrage, et la confirmation de ses croyances du message qu'il veut apporter,

Le fasse tomber dans le piège de cette fausse histoire…

Si seulement il avait cherché à connaître son exemple avant de produire son article 🤣

Tes commentaires m’intéressent !

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Je suis à ton écoute et je te répondrai avec plaisir.

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